ETXERA!


"Règle 17.1. Les détenus doivent être répartis autant que possible dans des prisons situées près de leur foyer ou de leur centre de réinsertion sociale." 
Principes fondamentaux de sécurité des personnes détenues ou incarcérées, Ministère de la Justice française.

"Règle 59. Dans la mesure du possible, les détenus seront répartis dans des établissements pénitentiaires près de leur foyer ou de leur centre de réinsertion sociale." 
Règles Nelson Mandela (Organisation des Nations Unies)

Comment expliquer alors que plus de 80% des prisonnier.e.s basques soient incarcéré.e.s à plus de 400 kilomètres de chez eux?

Ondarroa, Pays basque. Place Azoka, par une matinée de pluie d'avril 2018. Et cet écriteau de bois couleur bleu charrette arborant sept (coïncidence?¹) prénoms, à première vue inconnus, associés à des distances chiffrées en kilomètres. Kemen, Asier, Aitzol, Eneko, Ibon, Zunbeltz et Xabi sont en réalité les noms des prisonniers basques originaires de ce village de Biscaye, politiquement engagé en faveur de l'indépendantisme, toujours derrière les barreaux de prisons aux quatre coins des états français et espagnol. Voilà le propre de ce paradoxe: que justifie le fait que ces détenus doivent purger leur peine dans des centres arbitrairement éloignés de chez eux, et ce depuis bien des années?
La politique dite de la dispersion est une pratique expérimentée par le gouvernement du PSOE (Parti Socialiste espagnol) dès 1989, et qui s'est transformé en coutume régulière dans le cas des prisonniers basques. Cependant, dans tout Etat de droit, les droits des individus, y compris de ceux incarcérés en prison (contrairement à tout ce que l'on peut croire), ne peuvent être limités qu'en vertu de la loi, et en respectant les droits qui reviennent aux détenus; ainsi la dispersion à laquelle sont soumis les prisonnier.e.s basques viole leurs droits fondamentaux, en particulier le droit à l'intimité et à la vie familiale.
Repenchons-nous sur nos cours de physique-chimie: la dispersion physique équivaut à la dissolution, c'est-à-dire qu'elle se produit lorsqu'un solide, un gaz ou un liquide contient un autre corps réparti uniformément dans sa masse. Ci-joint sa dérivée: la dispersion politique se produit, elle, quand l'Espagne et la France dispersent systématiquement les prisonniers basques sur l'ensemble de leurs territoires respectifs. 

Alors à Ondarroa, à l'instar de bien d'autres villes et villages de la même sensibilité politique, ce qui saute aux yeux avant tout c'est la solidarité visible qui perdure et qui s'intensifie au fil des années. Qu'il s'agisse de ces panonceaux, répartis aux portes du centre historique, des peintures murales colorées aux mille slogans ou encore des innombrables drapeaux réclamant le rapatriement des prisonniers vers le Pays basque, ils sont l'expression d'une lutte qui reste en travers de la gorge. Car derrière eux se trouvent les femmes, les maris, les enfants, les parents ou les amis ces biens aimés, cloîtrés à des heures de voiture de leur foyer. L'objectif de la dispersion est d'annuler la dimension politique du conflit, qui reste encore d'actualité, sous un faux silence, et ainsi annuler l'identité de la communauté plongée dans le conflit. Le calcul est facilement réalisable: une communauté privée d'identité est une communauté qui n'existe pas. Et il sous-entend par-dessus tout un coût financier considérable, des voyages longs et réguliers, et parfois des accidents de la route. 

Face à cette punition injustement imposée aux familles des détenus, des milliers de personnes se sont organisées en réseaux, puisqu'il s'agit aujourd'hui du seul moyen de répondre à une politique dépourvue de toute base légale. Il s'agit d'associations de soutien aux proches, de réseaux solidaires de transport vers les prisons, de distribution collective de courrier aux prisonniers ou de diffusion de vidéos et d'informations sur les réseaux sociaux: une panoplie d'outils pour nourrir la fraternité de ce combat et éviter de tomber dans l'oubli, à l'image de l'obscurité des cellules de prison.
A ce jour, 475 personnes se trouvent en détention, dont 463 dispersées. 


¹ Dans la numérologie basque, le chiffre sept a une importance de poids: il représente le nombre de provinces (Gipuzkoa, Araba, Bizkaia, Nafarroa, Lapurdi, Behenafarroa, Zuberoa = Zazpiak Bat, "sept en un") qui forment le Pays basque. 

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