Melhor JÁ IR se protegendo



 
Un maître de capoeira noir tué au poignard après s'être prononcé contre Jair Bolsonaro, un homosexuel assassiné par un votant du PSL, une jeune fille qui se fait graver au canif une croix gammée sur l'estomac... Il s'agit en apparence d'actualités que l'on pourrait oser qualifier de triviales - tout est relatif - dans un pays qui bat des records de criminalité en devenant en 2018 l'un des dix pays les plus violents au monde, avec près de 64 000 homicides en 2017, soit plus de sept par heure1

Mais il y a bel et bien anguille sous roche. Ce qui caractérise ces meurtres, c'est leur place dans la chronologie: ils se sont tous déroulés en cette période de "zone grise" que traverse le Brésil, ce no-man's land électoral entre le premier et le second tour des présidentielles, où le candidat d'extrême-droite, Jair Bolsonaro, est donné quasi gagnant, avec 46% des voix le dimanche 7 octobre. En effet, selon le denier sondage Ibope, publié ce lundi 15 octobre, le député du Parti Social-Libéral (PSL) prime avec près de 59% des intentions de vote, contre 41% pour le candidat du Parti des travailleurs (PT), Fernando Haddad pour le deuxième tour, le 28 octobre.

Jair Bolsonaro, on ne le présente plus: décrit comme l'incarnation du triptyque misogyne-raciste-homophobe, il représente désormais le porte-parole, le reflet mythifié ("Bolsomito") d'un puissant socle électoral: celui de la classe moyenne majoritaire. Une histoire qui ressemble presque trait pour trait à celle vécue au nord du continent, chez leurs voisins états-uniens lors des élections en 2016, fruit d'un mécontentement des politiques démocrates. Mais ce qui intéresse - ou plutôt qui inquiète - dans le cas brésilien, c'est avant tout la portée d'un discours aussi radical et les conséquences de propos ouvertement assumés auprès d'une frange de la population prête à tout dans l'espoir d'un changement drastique - notamment en matière de corruption -, moins que l'action politique elle-même d'un dirigeant à part entière. Dans quelle mesure les paroles discriminatoires du candidat d'extrême-droite, qui font l'effet d'une bombe - à la Trump, violence verbale et diffusion massive de fausses informations - prennent la valeur de prophéties dans une croisade idéologique contre la femme, le noir, l'homosexuel?

Je parlais récemment avec un ami originaire de Rio de Janeiro*, qui m'expliquait que ce phénomène d’"ascension autoritaire" que connait le Brésil actuellement suit, selon lui, une dichotomie précise: il s'agirait d'une part de la suite logique d'un modèle international conduit par les pays européens (caractérisé notamment par l'arrivée de Marine Le Pen au deuxième tour des élections présidentielles) et l'entrée à la Maison Blanche de Donald Trump, mais serait également le fruit de la fin du sempiternel système petista (du Parti des travailleurs), de l'ère Lula, qui a perdu toute crédibilité suite aux scandales à répétition qui ont éclaboussé bien des membres du parti. Mais là où le vote Bolsonaro puise son essence - et se différencie des vagues d'extrême-droite qui frappent l'Occident - c'est qu'il veut s'affranchir de la cohésion sociale mise en place sous les mandats du PT: en plus d’être un vote "saco cheio" (ras-le-bol), le vote Bolsonaro veut rétablir une hiérarchie, une pyramide sociale, une frontière religieuse et un certain ordre moral2.

Alors quoi, faute de grives on mange des merles? Et au sein de cette démocratie fragilisée, les grives sont à la corruption en masse ce que les merles sont à un combiné de diffamations et de fake news, la stratégie gagnante de l'ancien militaire, nostalgique de la dictature de 1964 à 1985. Taxant tout militant de gauche de communiste et/ou de révolutionnaire, Bolsonaro a trouvé son souffre-douleur, et sa campagne électorale s'est appuyée sur un discours violent qui cherche à fragiliser pour éliminer le PT, parti qui mènerait la société vers "la dépravation morale et anti-chrétienne" (une méthode qui rappelle vaguement les opérations d'"endiguement du communisme" durant la Guerre Froide). Et pour cela, tous les coups sont permis: 

La veille du scrutin, de fausses déclarations de pasteurs qui prétendaient soutenir Bolsonaro ont circulé. Le lendemain des massives manifestations de femmes contre Bolsonaro, le 29 septembre, des intox ont été diffusées prétendant que ces rassemblements s’étaient mués en orgie sexuelle. Des montage photos montrent Fernando Haddad, le candidat du PT [Parti des travailleurs, gauche], et ancien ministre de l’Éducation, distribuant des livres érotiques à des enfants dans des écoles. D’autres montages montrent sa colistière, Manuela d’Ávila, avec des tatouages de Marx, Lénine et Che Guevara, ou l’agresseur de Bolsonaro [poignardé à l’abdomen le 6 septembre lors d’une apparition publique, ndlr] aux côtés de Lula et des dirigeants du PT3.

Au-delà des fausses informations relayées, ce qui terrifie, ce sont les actions concrètes déjà commises aux quatre coins du pays: intimidations, insultes, agressions et même meurtres. Si Bolsonaro explique qu'il "n'a pas le contrôle sur des millions et des millions de personnes qui [le] soutiennent", le triomphe attendu de ce dernier déchaîne toutes les violences. L’attaque au couteau qui lui a été portée le 6 septembre, l’a transformé en victime de cette violence qu’il ne cesse de dénoncer, mais s'il y a bien un responsable de la vague de violence qui frappe les derniers jours le Brésil, c'est bien lui. Il est indubitablement à l'origine de ce syndrome de panique, directement liée à l'emprise de son discours, ciblant volontairement un électorat encore très preconceitoso (pleine de préjugés, d'idées reçues), qui boit les paroles de leur nouveau "Messie" et qui crie victoire à tort(ure) et à travers.


*Merci à Alex Caldas pour ces précieuses informations.

1 www.rfi.fr/ameriques/20180812-bresil-criminalite-hausse-violence-feminicides-presidentielle-bolsonaro
3 Ibid

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