Aux flammes citoyens!

Quand la coupe est Plaine...

Alors que la plupart des grands carnavals internationaux ont pris fin au cours des derniers jours voire semaines, c'est à Marseille de clôturer sa période de Mardi gras en ce dimanche 10 mars. Loin d'être une fête monumentale, la municipalité n'a que faire de cette journée de célébration, puisqu'il s'agissait en réalité de la vingtième édition du carnaval indépendant de la Plaine, Noailles, Réformés et "tous les autres quartiers qui le rejoindront". L'intitulé ne peut nous laisser de marbre : nous, marseillais, ne pouvons passe outre les tragiques évènements qui ont marqué l'actualité de la ville, jusqu'à en faire la une des journaux ; depuis l'emmurement de la Plaine le 29 octobre dernier, l'effondrement des immeubles de la rue d'Aubagne le 5 novembre ou encore la mort de Zineb Redouane, grièvement blessée au visage par une grenade lacrymogène lancée par des policiers en marge des manifestations des Gilets Jaunes. En 2019, le Carnaval se voit donc revendicatif, mais surtout un hommage à ce centre-ville et ses habitants, "toujours debout".

Le rendez-vous est fixé: 14 heures, place Carli, le climat jongle entre nuages, ciel et mistral, comme si les dieux prenaient possession de la célébration populaire. Premières notes de trombone aussitôt jouées, premières rues aussitôt remplies. Et c'est à qui ne sera pas déguisé de finir enfariné, une allégorie qui prend décidément tout son sens dans le cadre de l'actualité politique marseillaise, réprimandée à tort et à travers.



La diversité et créativité des costumes nous étonne, nous fait sourire (et rire), et nous ramène notamment à une de ses essences premières, celle de la satire et la critique politique, époque de l'année où le masque dissimule les personnes mais dévoile les personnages. Si dans la définition des travestissements du carnaval les masques prennent les caractéristiques des êtres surnaturels qui sont les démons et les esprits des éléments de la nature, celui de la Plaine n'y échappe pas. A quelques différences près: ils évoquent en grande majorité des évènements retraçant l'actualité locale, avec des reconstitutions des blocs du "Mur de la honte" avec ses tags et affiches, mais également nationale, avec la présence réitérée du Gilet Jaune sous toutes ses formes. En poussant la recherche encore plus loin, on tombe sur des accoutrements métaphoriques tels que la pieuvre "corruption", qui engloutit la ville et ses cas de corruptions tentaculaires, ou encore la station d'essence, cet être qui ne nous veut que du mal.

Mais s'il y a une tête de gondole qui vole la vedette à tous les participants, c'est bel et bien le Caramantran, cette figure traditionnelle du carnaval provençal, incarné cette année par le maire de Marseille, Jean-Claude Gaudin, renommé "Gredin" pour l'occasion. A l'image des fallas de Valence, le personnage est moqué à outrance: traits grossis, défauts amplifiés ; sur son trône royal, le cacique se promène dans la ville, attirant les jets de farine et autres insultes, et exhibant sur son dossier le slogan: "à Marseille je fais la pluie et le beau temps. La catastrophe naturelle, c'est moi!". Derrière lui se forme une parade haute en couleurs, dessinant presque un parcours touristique auprès des rues tortueuses du Cours Julien et du reste des quartiers les plus populaires de Marseille, au plus grand bonheur des quelques curieux s’immisçant dans la foule.


S'en suit une descente jusqu'au boulevard de Libération, qui restera paralysé pendant le défilé, au rythme des slogans quérulents et des chansons originaires de ces mêmes quartiers. Certains prennent également en otages des poubelles, une des composantes les plus symboliques de la cité phocéenne (en référence aux innombrables grèves des éboueurs, ou encore à la réputation de l'encrassement de la ville), les transformant en véritables chars sur roulettes, instruments de musique ou encore en moyen de transport.


La destination est connue de tous : la Porte d'Aix, cet Arc de Triomphe marseillais, qui sera le théâtre du procès de Gredin, une place qui avait déjà pris des airs de fête avec la présence de manifestants algériens, en parallèle de la marche qui se tenait au Vieux-Port quelques heures avant. Ainsi vers 18 heures, se mêlent clameurs du peuple algérien et vacarme du carnaval provençal, atteignant son paroxysme lors du procès du Maire. En effet, la cérémonie s'est clôturée par la mise au bûcher de la colossale figure de carton-pâte, encerclée par un essaim d'épicuriens qui entonnent à tue-tête les paroles de chansons provençales, imprimées et distribuées auparavant. Des musiciens se révèlent, d'autres groupes s'improvisent, l'heure est aux arts. Superstitieux, libre à vous de vous défaire de vos mauvais défauts et de redémarrer de zéro: dans les flammes, chacun dépose sa pancarte en carton, un quignon de pain, un accessoire de costume... "On va tout brûler, tout le monde au bûcher", entend-on parmi la foule, avec l'espoir que le mistral qui se lève à peine amène ces paroles amères jusqu'aux oreilles du concerné.

Vue d'en haut, Marseille reste fidèle à elle-même: populaire, cosmopolite et bruyante, un triptyque à double tranchant qui lui attire autant de critiques que de louanges. La lune se dessine, le ciel se fait plus sombre, et des carnavaliers nous distribuent des autocollants ; il s'agit de l'étiquette de la bière locale, la Bière de la Plaine, qui arbore pour cette dernière édition une nouvelle devise: "Ils nous ont emmuré l'espace, mais pas l'esprit!". 


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